Une nouvelle fantastique
L'amour dans tous ses états
Premier prix d'un concours de nouvelles à Aix en Provence.
Le thème : "l'amour dans tous ses états".
Le médaillon ( texte intégral)
Je ne serai plus jamais comme avant. Un truc qui brûle, là, dans un coin de ma cervelle. Je suis anéantie, paralysée, détruite. En vrac. Tout avait si mal commencé ! J'erre dans un espace vierge de tous repères. Pourquoi ce vertige, cette déstructuration du monde familier qui m'était cher ? Je me réfugie dans un souvenir lointain qui me hante. Une rencontre fortuite, peu banale, qui m'avait prise au dépourvu.
"Bonjour, vous me reconnaissez ?
- Pas du tout. Vous devez faire erreur. Laissez-moi passer.
- Si, je vous connais. Vous êtes Inca. J'ai si souvent rêvé de vous..."
Je sursaute. Il s'agit bien de mon prénom. Les yeux écarquillés, je regarde cet homme que je n'ai jamais vu et qui pourtant me semble un tantinet familier. Un ami de mes parents, peut-être ? Ses yeux d'un noir profond fouillent les miens, sans aucune gêne.
"Venez, je vais vous expliquer cette étrange histoire devant un café".
Il m'attrape le bras sans façon. Je me dégage vivement, outrée, tandis qu'il éclate de rire. De petites rides plissent ses yeux opaques et je remarque une étrange douceur dans son visage détendu. Il paraît si sûr de lui que j'en arrive à douter. Je dois le connaître. Et pourtant... je tiens mon sac comme un bouclier, les sourcils froncés, bien décidée à me défendre contre sa mystérieuse prétention. Il se fait insistant. Je recule, cherchant du regard une aide quelconque. Les passants, indifférents, vaquent à leurs occupations. Il me désigne une table non loin de là. Sa persuasion fait le reste. Une fois assise, je finis par me détendre et, curieuse, écoute ce qu'il a à me dire.
"Inca, l'amour peut naître dans des rêves sans que nous n'y puissions rien. Je vous en prie, restez là. Je ne vous ennuierai pas longtemps. Je suis victime d'un sortilège. Tenez, regardez."
Il sort un médaillon délicatement ouvragé de sa poche et l'ouvre précautionneusement. Je me penche vers la photo en couleur qui s'y trouve. Quelle n'est pas ma stupeur de découvrir qu'il s'agit de mon portrait ! Un portrait récent, qui plus est. Je reste sans voix et le dévisage avec aménité.
"J'ai acheté cet objet chez un brocanteur de la rue Soufflot. Est-ce qu'il vous appartient ?"
Je fais un signe de dénégation. J'ai la bouche sèche. J'attends la suite avec impatience.
"Alors je ne comprends pas plus que vous ce qui se passe. Je l'ai acheté car ce portrait me plaisait. Et d'un seul coup vous apparaissez devant moi. Avouez qu'il y a de quoi être surpris. D'autant plus que, depuis que j'ai ce médaillon, je n'arrête pas de rêver de vous.
- Vous mentez !
- Je vous jure que non. Lorsque je vous ai vu, je n'en revenais pas. Un miracle. Et regardez, il y a une date derrière la photo. 25 juin 1886.
- c'est ma date de naissance.
- ah, vous voyez qu'il y a un sortilège là-dessous ! Vous seule pouvez m'expliquer à qui appartient ce médaillon.
- Je l'ignore, monsieur.
- Appelez-moi Igor. Je vais faire une petite enquête chez ce brocanteur, si vous le permettez. Voulezvous que nous y allions ensemble ?
- Depuis combien de temps l'avez-vous ?
- Depuis trois semaines environ. Pourquoi ?
- Pour rien. J'essaie de comprendre, c'est tout. Je veux bien aller chez ce brocanteur. Maintenant.
- Je suis désolé, il faut que je file. Donnons-nous rendez-vous demain à la même heure. - Je peux y aller toute seule, si vous me prêtez le médaillon.
- Non. Je compte bien vous revoir.
- Vous ne me faites pas confiance ?
- Non. Voici ma carte. A demain, même heure. Au revoir."
Cette façon cavalière de prendre congé ne me plût pas. Et pourtant je ne pus m'empêcher de penser qu'il était séduisant en tripotant sa carte qui m'apprit qu'il était médecin. Il habitait dans le centre-ville et son nom russe me fit l'effet d'une rencontre exotique et charmante.
Le lendemain j'arrivai tôt, impatiente et anxieuse. Quelque chose clochait. Il ne m'avait pas dit toute la vérité. Je le soupçonnais de manigances. Il me jeta son plus beau sourire, s'approcha de moi et voulut m'embrasser. Je me défilai brusquement et commençai à marcher en direction de la boutique d'un pas décidé. Je m'étais renseignée la veille et je savais parfaitement où j'allais. La cloche retentit mais personne ne vint nous accueillir. Dans la pénombre, je contemplai des objets curieux, des meubles tarabiscotés et des bijoux étrangement beaux. Igor rongeait son frein et farfouillait dans sa poche. Surgit de nulle part, un homme chauve, pâle, maigre et voûté vint nous rejoindre et nous proposa ses services d'une voix obséquieuse. Je ne pus m'empêcher de frissonner. Il croisa mon regard et s'exclama :
"Je vous connais. Vous êtes la demoiselle du médaillon que j'ai vendu à monsieur. Vous êtes désormais liés l'un à l'autre pour l'éternité.
- Je ne crois pas un seul instant à ces inepties. D'où provient ce médaillon ? demandai-je, glaciale.
- C'est un très vieux médaillon que j'ai trouvé dans les combles d'une demeure angevine. Je voyage beaucoup, vous savez ! Avez-vous de la famille dans cette région ?
- Vous êtes complètement dingue. Qui a pris cette photo à mon insu ?
- Si je puis me permettre, fit le bonhomme en grimaçant, prêtez-moi le médaillon. Regardez, la photo est prise de face. Rien ne prouve que vous avez été surprise".
Il avait raison. La photo était nette, j'étais souriante et je regardais l'objectif. Sereine. Sauf que je n'avais aucun souvenir de ce moment-là et que je n'avais jamais mis les pieds en Anjou. Ma famille non plus d'ailleurs. Quelle était cette supercherie ? J'avais la sombre impression d'être manipulée. Je restai un moment à contempler l'objet doux et rond dans le creux de ma main. Il me rassurait. Rien de maléfique là-dedans. Sauf la photo. Une soeur jumelle ? Pourquoi pas ? Igor était pensif. L'homme chauve marmonnait des paroles inaudibles en déplaçant de vieux livres dans le fond de la boutique. Cette atmosphère feutrée, onirique même, me rappelait les philtres magiques des contes qui recèlent eux aussi leur part d'éternité. Je rendis le bijou à son propriétaire qui me semblait aussi désemparé que moi.
Nous nous revîmes lors d'une fête de village. J'avais perdu le goût de dormir et de manger. Les jours passaient, mornes et tranquilles, débarrassés des scories de la joie et de la peine. Lorsqu'il m'aperçut dans la foule, Igor plongea littéralement sur moi et m’entraîna à l'écart comme un objet précieux.
« Inca, je vous ai tant cherchée ! Je ne pense plus qu'à vous, c'est terrible. C'est comme une malédiction. La seule chose qui m'apaise c'est de regarder votre portrait dans le médaillon, de le tenir contre mon cœur. Vous êtes si pâle…Dieu vous a remise sur ma route, je ne vous perdrais plus désormais.
- Dieu ou le diable, fis-je, amère. Il faut croire que quelque chose me manque. Quelque chose ou quelqu'un... »
Il approcha sa main de mon visage, lentement, avec dévotion. Je le laissai faire, impatiente d'un contact auquel j'avais pensé si souvent. Le silence nous environnait. Les gens s'étaient figés, comme dans un tableau de Bosch. Je ne voyais plus que lui, son visage franc et ouvert, ses yeux profonds qui brillaient d'une lueur malicieuse. Je fus comme foudroyée, remplie d'amour. Une pleinitude instantannée. Je devinais dans ses yeux de petites étincelles dorées qui passaient, des lumières bienveillantes et secrètes. Je lui souris tandis qu'il me prenait dans ses bras.
« Avez-vous le médaillon sur vous ? murmurai-je.
- Bien sûr. Il ne me quitte jamais.
- Je veux m'assurer qu'il est bien réel. Montrez-le moi. »
Il était là, au creux de sa large paume, rond, ciselé, à peine brillant. Un trésor. Je le saisis et l'ouvris comme on ouvre son cœur, largement, sincèrement, définitivement. Je tremblai. Il me prit la main et nous courûmes loin de cette foule vulgaire, vers les remparts de la ville.
Les étoiles s'allumaient une à une sur la voûte immense et ténébreuse, ponctuée d'une lune fine et polie comme un arc de nacre. Nous nous assîmes dans l'herbe, au pied d'un mur encore tiède de la lumière du jour. Nous fîmes connaissance par petites touches légères et pudiques, d'une irrésistible séduction. Naquirent des affinités impossibles à décrire. Une adhésion totale et bouleversante, la passion des jardins, des livres partagés et des voyages à faire. Une osmose complète de ce que nous étions au plus profond de nous. Des bonheurs, une folie, quelque chose d'extravagant et de terrible se projetaient au-delà de nos paroles éblouies. Une étreinte d'âme. Quelque chose de définitif et de sacré. Puis nous nous regardions en silence, remplis de craintes et de joies indicibles. Lorsqu'il fallut partir, ce fut un arrachement. Redevenir deux.
Dans les jours qui suivirent, j'essayai de reprendre possession de moi-même. Peine perdue. Je ne pensais qu'à lui, à notre soirée hors du temps sous les remparts. Je faisais mon travail mécaniquement, comme vidée de ma substance. Mes amis ne me reconnaissaient plus. Je m'isolais pour rêver. Je n'avais jamais aimé ainsi, si brutalement, si totalement. Ma seule consolation était de me dire que je respirais le même air que lui. Nous nous téléphonions plusieurs fois par jour et nous nous racontions des détails insignifiants, prosaïques, de nos vies à présent déchirées. Igor n'était pas libre. Les obstacles attisent la flamme, consument les âmes. Igor était marié depuis dix ans. De cette union était né un petit garçon de six ans. J'ai toujours été stricte sur la morale et ma situation désespérée n'aurait pas de fin. Pourtant, une force inexorable nous poussait l'un vers l'autre, en dépit de tout. Il parlait de divorce, je tentais de l'en dissuader d'une voix fausse et véhémente. Il riait, faisait des serments et je le maudissais en silence. Je l'écoutais développer ses arguments fallacieux en mourant d'envie de les ratifier. La situation s'éternisait. Nous souffrions. On se voyait parfois, à la sauvette, et nos étreintes brèves et interdites en étaient décuplées.
Jusqu'au jour où il me donna un rendez-vous inattendu en pleine après-midi, sur les remparts.
Le soleil dardait ses rayons et chauffait les pierres entassées depuis des millénaires. Mon cœur, chauffé à blanc, brûlait comme ses vestiges : toujours vivant, vibrant et palpitant sous l'étreinte du temps. J'escaladais au pas de course le raidillon, essoufflée, impatiente. Je dominais la plaine de Cursac, qui, sous un voile de chaleur, vibrait tel un songe à peine esquissé. J'ouvris les bras pour saisir cette vision floue du bonheur qui s'évanouit lorsque je perçus un bruit de cailloux roulant sur le sentier. Je baissai les bras et me réfugiai dans les siens. Nos coeurs battaient à l'unisson. Il laissa glisser ses mains et s'agenouilla devant moi dans le flamboiement et le stridulement insistant des cigales. Il sortit le médaillon de sa poche ainsi qu'un écrin de couleur pourpre.
« Qu'est-ce que tu fais ? Relève-toi, je t'en prie.
- Inca, mon amour, regarde-moi. Au nom de ce médaillon qui m'a été confié par le destin et qui nous relie, si j'étais célibataire, voudrais-tu partager ma vie et être ma femme ?
- Arrête cette comédie. Tu connais déjà la réponse.
- Réponds-moi !
- Tu es cruel. Pense à ta femme ! m'exclamai-je, féroce.
- Inca, je suis libre. Libre comme l'air. Je suis venu te l'annoncer aujourd'hui. Le divorce a été prononcé hier après-midi. Je t'aime ».
Je m'affaissai lentement, les yeux plantés dans ceux d'Igor. Lorsque je repris mes sens, j'étais allongée, la tête reposant sur les genoux d'Igor. Il me caressait la figure tendrement. Le soleil m'aveuglait, me mordait, et le bruit des cigales scandait la chaleur de l'été. Je fis mine de me relever pour échapper à cet aveuglement mais il m'en empêcha. Il me porta à l'ombre du mur, sur le tapis desséché et craquant des folles avoines. Je me sentis mieux. Je restai silencieuse, digérant l'incroyable nouvelle, supputant les cachotteries de mon amant.
« Que se passe-t-il ? s'enquit Igor, inquiet de ce mutisme »
Sa candeur me fit sourire.
« J'ai besoin de réfléchir. Tu m'as caché la vérité pendant des mois. Accompagne-moi.»
Devant mon désarroi, il n'insista pas. Je rentrai chez moi à petits pas, soutenue par Igor, étourdie par un trop grand bonheur qui n'allait pas sans une certaine inquiétude. Pouvais-je dire oui à un homme qui, ensorcelé par un médaillon, était prêt à tout pour moi et qui avait d'un coup radié de sa vie une famille aimante, une femme, un enfant très jeune encore qui avaient besoin de lui ? Saurais-je remplacer celle qui l'avait aimé pendant plus de dix ans ? Je doutais de moi et pourtant je savais pertinemment que je ne pouvais vivre sans lui. Il me laissa devant ma porte, chagriné, et me promit de revenir le lendemain prendre de mes nouvelles.
Il arriva après le déjeuner dans un état épouvantable : il avait égaré le médaillon. Il était retourrné dès l'aube sur les remparts, avait scruté la moindre herbe folle, en vain. Il pensa que l'objet avait pu rouler jusqu'en bas. Il ne trouva rien. Je le forçai à boire un cognac. Son visage reprit des couleurs mais il semblait très affecté par cette perte.
Désespéré, il devint agité, sombre. Je ne le reconnaissais plus. Ses serments complexes, embrouillés et véhéments, me fatiguaient et me laissaient sans force. Il évitait les points importants qu'entrainait son divorce. Puis la mélancolie remplaça son agitation. Il restait muet, le regard perdu et soupirait en me prenant la main qu'il relâchait aussitôt.
Puis il devint cruel et injuste dans ses propos. Ainsi, il m'affirma sans sourciller que désormais il essaierait de faire mon bonheur coûte que coûte, même s'il devait y passer sa vie. Son amour devenait un devoir à remplir. Un sacrifice. Quant à moi, dans les jours qui suivirent la perte du bijou, les affres du doute m'assaillirent et ne me laissèrent plus en repos. Est-ce qu'on pouvait rompre un sortilège ? J'allais jouer ma vie sur le pouvoir d'un simple médaillon perdu. Igor continua ses visites assidûment. La rumeur se répandit dans le quartier comme une traînée de poudre. J'avais une liaison avec un homme qui venait de divorcer pour mes beaux yeux. Certaines dames me saluaient à peine. D'autres, offusquées, prenaient de la distance, me snobaient consciencieusement. Je me sentais salie, abandonnée par tous. Je ne sortais presque plus. Cette situation ne pouvait plus durer, c'était une évidence. Nous devions rompre. Je le fis un peu brutalement, il est vrai, pour couper court à mon chagrin. Il repartit, sonné, vers ses pénates, jurant qu'il n'en resterait pas là, que son honneur était en jeu. Une paix relative revint dans mon esprit. Je n'eus plus de nouvelles d'Igor pendant un long moment.
Le printemps tardif embroussaillait de feuilles tendres les bosquets des alentours, les piquetant de fleurs fragiles et légères. Les oiseaux pépiaient et rajoutaient de la beauté à l'ensemble. J'éprouve chaque année une émotion profonde devant ce miracle de la nature qui renaît chaque année par petites touches, balayant les angoisses de l'hiver. J'étais sans cesse dehors plantant des massifs de fleurs multicolores dans le jardin. L'odeur de la terre me grisait. Mon histoire avec Igor pâlissait, retrouvait le flou des souvenirs, la brume du passé. Seuls les livres me parlaient encore d'amour et cela me suffisait. Je ne voulais plus souffrir ni me débattre dans le tourbillon incessant des sentiments. C'était sans compter sur le destin.
Je ne sais pourquoi, je retournai dans la boutique du brocanteur, cherchant un petit cadeau pour une amie. Alors que je contemplais attentivement un tableau qui me plaisait, une présence indéfinissable, un souffle me fit me retourner. L'homme chauve se tenait devant moi, les bras croisés, un demi-sourire énigmatique sur les lèvres. Il semblait avoir vieilli. Il était encore plus voûté, plus ridé et grimaçant que dans mon souvenir. Je fus saisie d'un frisson, comme au contact d'un crapaud.
« La dame du médaillon, si je ne m'abuse, susurra-t-il, goguenard. Je crois que j'ai quelque chose pour vous. Attendez une minute. »
Il disparut comme par enchantement et reparut avant que j'ai pu faire le moindre geste. Il me tendit… un médaillon en tout point semblable à celui qu'Igor avait perdu l'été dernier. Je fis un signe de dénégation et voulus fuir. Il se déplia comme un diable hors de sa boite et m'empêcha de passer.
« Je l'ai retrouvé, siffla-t-il en me mettant l'objet de force dans la main. Ne le perdez plus. Il est le garant de votre bonheur et de votre fortune ».
J'ouvris la main et fixai le bijou avec stupeur. Une chaleur inconnue irradiait ma paume.
« Ouvrez-le, intima l'homme chauve d'un ton catégorique. C'est le vôtre.»
Galvanisée, j’appuyai sur le ressort et le déclic me fit l'effet d'une claque. Il me réveilla d'un long sommeil. Mon portrait était le même, bien sûr, et lorsque je le regardai, je me mis à penser à Igor, à son merveilleux sourire, à ses yeux si tendres. L'émotion, intense, me mit les larmes aux yeux.
Je remerciai l'hideux propriétaire et sortis de la boutique en oubliant pourquoi j'y étais venue.
Je n'eus de cesse de retrouver Igor. J'étais folle de l'avoir quitté. Il était mon sang et ma vie. Je remuai ciel et terre et finis par retrouver sa trace dans la ville de L. Je louai une voiture et m'y rendis dans la semaine qui suivit. Le médaillon ne me quittait plus. Je l'avais mis dans la poche de ma veste, tout contre mon cœur. Il me brûlait, comme ce que j'éprouvais. Lorsqu'il me vit, il pâlit et se retint au chambranle de la porte. Il me fit signe de le suivre. Je pénétrai dans un somptueux appartement tendu de soie sauvage, rempli de livres de voyage et d'objets singuliers. Nous restâmes un moment avant de pouvoir communiquer, trop émus par ces retrouvailles inespérées. Igor me dévorais des yeux. C'est moi qui mis fin au silence.
« J'ai retrouvé le médaillon chez le brocanteur. C'est lui qui me l'a donné.
- Je l'avais perdu près des remparts, articula Igor d'une voix blanche. Je l'ai tellement cherché !
Comment a-t-il fait pour mettre la main dessus ? C'est diabolique.
- Il y avait deux médaillons. C'est la seule explication à peu près rationnelle.
- Tu ne peux pas savoir ce que j'ai souffert lorsque tu m'as quitté. J'ai essayé de t'oublier en voyageant. J'ai recommencé à rêver de toi il y a à peu près un mois.
- Depuis que je l'ai en ma possession… fis-je, songeuse.
- Montre-le moi. J'ai besoin de le voir, de le toucher ».
Il s'assit près de moi et me prit la main. Je lui tendis le bijou. Il le regarda d'un air extatique, comme un trésor inestimable. Ce que j'éprouvais soudain fut de la peur. La peur de dépendre d'un simple objet, fragile et délicat. Notre destin semblait scellé. Qu'allions-nous devenir face à cette force ingouvernable ? Une passion dévorante nous submergeait, nous coupant de toute vie extérieure. Plus Igor contemplait le médaillon, plus son amour augmentait. Je le lui arrachai des mains et l'enfouis dans mon sac. Hagard, les pupilles dilatées, Igor me pressa de lui rendre. Je refusai, me levai et lui donnai rendez-vous la semaine suivante. J'avais besoin de réfléchir, de temporiser.
La passion effrénée recommença, pour notre plus grand malheur et ne nous laissait guère de répit. Nous brûlions d'une fièvre intense et mortifère qui nous laissait exsangues au petit matin. Igor n'exerçait plus. Ses propres enfants n'existaient plus. Je ne voyais plus mes amis. Nous vivions en autarcie dans la folie des élans qui nous transportaient. Il me couvrait de fleurs et de cadeaux. De bijoux somptueux. Rien n'était trop beau pour moi. A ce trainlà, il fallut bien se rendre à l'évidence ; nous fûmes ruinés en quelques mois. Igor dût reprendre le chemin de son cabinet. Il n'en avait pas la force. Un poison violent l'en empêchait : moi. C'est ainsi que je me résolus à briser le médaillon, cause de tous nos maux. Je l'écrasai un matin d'un coup de talon rageur, à l'insu de mon amant. Une grande paix m'envahit alors et je pus enfin respirer plus librement, faire quelques pas dans mon jardin, contempler mes fleurs envahies de mauvaises herbes. Je me mis au travail aussitôt, arrachant de grandes poignées de ce chiendent qui les avait étouffées depuis si longtemps. A midi, lorsque je rentrai, un silence inattendu m'accueillit. Igor n'était pas encore levé. Je me hâtai de le rejoindre dans notre chambre. Je m'approchai et m'assis sur le lit défait. Son visage, extrêmement pâle, reposait sur l'oreiller froissé de notre nuit torride. J'avançai ma main pour le caresser lorsqu'une lueur fulgurante me traversa. Un cri déchirant s'échappa de ma poitrine. Igor ne respirait plus.
BRAVO !!! Le Comité de lecture d'Aix-En-Livres a la joie de vous communiquer les résultats de son 1er Concours de Nouvelles :
1er Prix - "Le médaillon" de Sandrine Lambert
2e Prix - "Le choix de l'amour" de Soraya Saihi
3e Prix - "Amour Passion" d'Elie Couston
La remise des Prix aura lieu au Café Les Deux Garçons à Aix, à une date en accord avec les lauréats.
Date de dernière mise à jour : 01/02/2023
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